PRESS RELEASE

À l'image d'une acrobate de haute voltige qui s'élance sur le fil en défiant les lois de la gravité avec autant de témérité que de grâce, l'exposition Sur le fil est l'aboutissement d'un travail de concentration et de manipulation intenses.

Lucile Bertrand aborde dans cette exposition, avec une multitude d'affinités entre le fil et la ligne, la suspension et la continuité, l'espace et le point, l'attendrissement et la volonté de savoir.

La démarche de Lucile Bertrand se caractérise, depuis deux décennies, par sa maîtrise du dessin, son exploration de l'assemblage, ainsi que sa sensibilité aux questions politiques et poétiques. Ces phénomènes et engagements s'identifient notamment dans son traitement déhiérarchisé de l'organique et du structurel. Ni les matières délicates (plumes blanches, perles irisées lilliputiennes, fils transparents ou colorés du rose au rouge — ô chair, ô sang, qui constituent les vivants), ni les formes absolues (verticales, carrées, cubiques) ne précèdent ou ne dominent l'autre. Matières et formes s'imbriquent l'une dans l'autre, se déploient l'une par rapport à l'autre, et soulignent aussi bien leurs différences essentielles que le potentiel indiscutable de l'autre.

 

Mondes flottants entre plumes et perles

L'œuvre Mesures impossibles est constituée à partir d'un réseau de fils verticaux. Dans cette trame aérienne, l'artiste a accroché une masse de plumes dans laquelle elle a enfoui de petites étiquettes estampillées de chiffres rouges, alliant le douillet de l'intime aux règles bureaucratiques consignées dans l'art depuis l'avènement conceptuel. L'ensemble se donne à voir dans une boîte de plexiglas carrée d'un mètre sur un, qui fonctionne comme une fenêtre, une ouverture, tant la légèreté et la luminosité du matériau ont été étudiées pour cette présentation. La déclinaison de la monochromie, la densité des plumes, l'importance des chiffres et la force du carré inaugurent une nouvelle page du post-minimalisme, autorisant l'enlacement de la rigueur et de l'affectif.

Une nouvelle série d'œuvres brode des perles irrégulières et irisées de manière aléatoire sur un même dispositif de fils verticaux. Toutefois, la référence à la nidification ou au tableau s'évanouit pour donner lieu à une perception cosmique. L'infiniment petit véhicule l'idée de l'infiniment grand, et les perles semblent des météores en déplacement lent. À moins qu'elles ne s'inscrivent dans le vide comme des gouttes de pluies gorgées de lumière ? L'espacement minutieusement chorégraphié soutient l'illusion du glissement, tandis que l'éternel recommencement de la lecture de ces micro-reliefs rappelle les constellations mallarméennes qui transforment les lecteurs/lectrices en poètes.

 

Mondes froissés

Parallèlement à ces Mondes flottants, l'artiste a également développé ce qu'elle intitule des Mondes froissés. Pour ce faire, elle a exploré les qualités de la porcelaine-papier et de la biscuiterie, et manifesté sa fascination pour l'univers floral et celui des saveurs. Elle a créé des objets délicats, rassemblés en familles de pétales de pavot ossifiés et papiers enroulés ou froissés tels des feuilles de brouillon ou des mouchoirs abandonnés. Cet ensemble titille les souvenirs sensoriels emmagasinés dans la mémoire... Mais seule la vue ne cesse d'osciller entre ce qu'elle reconnaît pour l'avoir déjà rencontré, et ce qu'elle découvre petit à petit, comme ces filets de couleurs pastels qui s'extraient de la matière cuite. Ces enluminures d'ocres, bleus ou rouges déterminent la nomination fluviale ou désertiques des objets.

On retrouve aussi une nouvelle version des pétales de magnolia en tarlatane Je-ne-sais-quoi.

Occupant un espace lui étant dédié, Les Absents est une invitation à débattre avec Lucile Bertrand, à l'écoute du monde et de ses dysfonctionnements, autant qu'elle démontre son immense délicatesse, que Roland Barthes définit ainsi : «Délicatesse voudrait dire : distance et égard, absence de poids dans la relation, et, cependant, chaleur vive de cette relation.»

Véronique Danneels, avril 2012