PRESS RELEASE
Les artistes ont été des migrants avant l'heure : ils ont toujours voyagé, ils sont allés voir de l'autre côté, ils ont pris part à mille expéditions, aventures. Tantôt, il fut question de voyages de formation (on songe bien sûr au fameux pèlerinage à Rome, ou à la visite des Flandres). Dans d'autre cas, les artistes furent amenés à s'exiler du fait de guerre, ou de leur activité même. En effet, la pratique artistique est généralement considérée d'un œil circonspect par les gens de pouvoir, qui tendent souvent à l'étouffer. Raison pour laquelle, les artistes sont souvent les premiers à fuir un pays tombant sous le joug de la répression.
Dans l'histoire de l'art, les figures d'artistes en exil abondent. Si l'exil est au départ économique ou politique, il peut aussi engendrer a posteriori d'importantes conséquences artistiques. Ce fut le cas dans les années quarante, lorsqu'une grande partie de l'avant-garde européenne se retrouva à New York. On spécule d'ailleurs dans l'histoire de l'art quant à l'influence potentielle du surréalisme et de l'écriture automatique sur la peinture de Jackson Pollock, toute en impulsions de l'inconscient.
L'exposition Art in Exile de la Keitelman Gallery plonge dans ce thème passionnant qui n'a rien perdu de son actualité : la migration (et la censure, contraignant à l'exil) étant plus que jamais dans l'air du temps.
Parmi les artistes présentés, mentionnons tout d'abord Marcel Duchamp qui incarne à lui seul ce mouvement de l'art européen vers les États-Unis, lui qui n'aura pas cessé de se faufiler d'un continent à l'autre non sans laisser de profondes empreintes. Le couple constitué de la photographe Lisette Model et du peintre Evsa Model figurent également en bonne place dans cette exposition. Evsa Model est un artiste méconnu, originaire de Sibérie qui transita par Paris avant de s'installer à New York auprès de son épouse où il donna forme à un très intéressant travail mélangeant pop art et art abstrait russe. Et puis voici Marc Chagall, autre exilé de Biélorussie qui fera ressurgir dans ses toiles toute une iconographie de culture populaire, peinte au filtre des grands courants picturaux de la première moitié du XXème siècle. Autre figure de référence, Lyonel Feininger, artiste germano-américain, formé en Europe notamment à Liège et professeur au Bauhaus, il est contraint de s'exiler en 1937 aux États-Unis, il y aura une rétrospective de son œuvre au MoMa en 1944. Autre professeur du Bauhaus, contraint à l'exil dans les années 30 est Josef Albers, considéré comme un précurseur du Op Art, Albers est surtout connu pour avoir « contextualisé » la couleur, il la donne à voir dans ses expérimentations colorées plutôt que de la théoriser. Enfin la Keitelman Gallery est heureuse de présenter pour la première fois le travail de l'autrichien Josef Floch, devenu américain par la suite, il a fait partie de l'avant-garde européenne dans les années 20.
Dans un registre plus contemporain, l'exposition présente aussi Ali Assaf, artiste irakien exilé en Italie, il fut le curateur du pavillon iraquien à la biennale de Venise en 2011, il est par ailleurs artiste avec une pratique vidéo emprunt de réflexion, sur le déracinement et la nostalgie. Dans l'expression de cette émotion liée à l'exil, le travail de Shirin Neshat, artiste iranienne, capture des images relevées des calligraphies persanes, pour y dénoncer la différence de traitement entre les femmes et les hommes dans son pays d'origine. C'est aussi dans un rapport d'opposition que s'inscrit le travail de Kendell Geers, artiste sud-africain. En effet, en 1988, il refusa publiquement comme plusieurs de ses concitoyens de faire son service militaire, s'exposant ainsi à une peine de 6 ans d'emprisonnement qui le contraignit à l'exil dès 1989.
Enfin, Mounir Fatmi, artiste marocain et curateur de cette exposition, poursuit depuis plusieurs années ses recherches plastiques sur la construction et déconstruction des dogmes, des idéologies mais aussi de l'histoire. En observateur éveillé du monde contemporain, il puise dans l'histoire de l'art, la culture et la politique, des paradigmes visuels puissants pour nous les donner à lire autrement.
Keitelman Gallery, 2015