PRESS RELEASE

Réutilisation de slogans, d'images publicitaires, de campagnes de marketing voire plus simplement d'objet de consommation courante ou d'éléments de la production industrielle de masse, le détournement «artistique» constitue depuis le début du XXe siècle un outil privilégié d'expression pour quantité de plasticiens.

À la suite des expérimentations sur le collage menées par Braque et Picasso à la fin de l'année 1911, puis des transgressions résolues d'un Marcel Duchamp qui, le premier vers 1913-1915, invente les fameux ready-made, ces objets «tout faits» choisis pour leur neutralité esthétique (porte-bouteilles, roue de bicyclette, urinoir), les artistes vont peu à peu se détourner des moyens traditionnels d'expression plastique. Notamment ceux qui leur sont imposés par la tradition, en premier lieu la peinture à l'huile et tout ce que requièrent les conventions artistiques communément admises.

Pour beaucoup, l'idée va désormais primer sur la forme. Car si, en maints exemples, les artistes choisissent de ne pas abandonner totalement le langage plastique habituel, y revenant même à l'occasion, force est de constater que rapidement, au fil des décennies, le XXe siècle voit peu à peu la praxis artistique se détourner furieusement de ces «archaïsmes». Pourquoi ?

Plusieurs explications existent. Tout d'abord, les potentialités expressives de ces nouveaux champs plastiques sont virtuellement infinies, conférant une liberté absolue à leurs expérimentateurs. Et si souvent le matériau de base est connoté d'une signification d'usage qui n'échappe à personne, l'œuvre qui en découle, par essence totalement novatrice du fait même de la geste, donc de l'idée, qui s'y est ajoutée, revêt immanquablement un message inédit, fréquemment opposé au message original.

Le détournement, terme d'abord employé par l'Internationale situationniste (IS, fondée en 1957), désireuse d'en finir avec la «dictature de la marchandise», constitue aussi souvent une sorte de parodie satirique, qui réutilise ou imite l'objet, voire l'œuvre originale. En cela, le dépassement de l'art constitue le projet originel et le dénominateur commun de tous les artistes qui usent à l'origine du détournement comme moyen d'expression. En soi, le détournement diffère de la récupération qui, elle, implique plutôt des œuvres destinées aux médias dominants. L'utilisation faite par l'artiste conceptuelle américaine Barbara Kruger (1945) popularisera cette orientation, au départ volontiers associée à un message publicitaire dévoyé.

Toutefois, on ne peut décemment nier l'héritage des idées en germe dans le ready-made de Duchamp et réactivées par les artistes du pop art, poursuivant le processus de désincarnation visuelle de l'objet d'art. Pas plus qu'il n'est pensable d'éluder l'influence des idées de Marcel Broodthaers sur la praxis des artistes d'aujourd'hui, notamment dans leur rapport au détournement. Dans la lignée de Magritte, Broodthaers va détourner les mots et les images pour dégager «la saveur des objets», inscrivant ses œuvres, entre sculpture et peinture, dans un questionnement critique et poétique à l'ironie percutante.

L'ensemble de ces façons de «repenser» l'art trouvent un écho renouvelé dans la pratique des artistes — Nelly Agassi (1973), El Anatsui (1944), Marcel Broodthaers (1924-1976), Marcel Duchamp (1887-1968), Mounir Fatmi (1970), David Mach (1956), Christian Marclay (1955), Carmen Perrin (1953) et Gal Weinstein (1973) — dont certaines œuvres «détournées» se trouvent rassemblées dans cette exposition. Certains utilisent leur corps et détournent son énergie au profit de l'idée et de son résultat. D'autres, motivés par des préoccupations plus «environnementales», mettent en œuvre le surplus, l'assemblage, le recyclage et la récupération, nobles façons de détourner, pour étayer leur propos. D'autres encore, détournant les moyens de son expression, cherchent à rendre la vibration tangible. Tous, «magiciens de la terre» sublimant l'ordinaire, font jaillir la grâce de la contingence.

Keitelman Gallery, 2012