PRESS RELEASE
La Keitelman Gallery est heureuse de présenter la troisième exposition personnelle de l'artiste suisse Claude Cortinovis.
Là où le monde de l'art sollicite tant et plus les artistes et attend d'eux qu'ils aient une production très fournie susceptible de répondre à ses multiples exigences, Cortinovis fait lui le pari du temps et de la parcimonie en ne créant que quelques œuvres par an. C'est que le processus de travail, sa durée, son rituel, sont des paramètres fondamentaux de son œuvre. Tout se passe comme s'il était question chez lui d'appréhender le temps et de prendre la mesure des effets de dilatation qu'il suscite silencieusement.
Claude Cortinovis présente ainsi dans cette exposition une petite dizaine d'œuvres inédites tout au plus qui, pour sembler simples sur le plan des sujets, sont façonnées avec énormément de raffinement dans le détail. Ce sont des dessins composés de milliers de petits carrés (soit des dessins « mis au cordeau », comme en réalisaient déjà les artistes de la Renaissance qui se servaient de cette technique de composition pour mieux appréhender les proportions et les enjeux de perspective de chaque nouveau sujet) que Cortinovis a patiemment rempli de différentes couleurs, en se servant de petits tampons enduits d'encre. Il en résulte des images à l'allure « pixellisée », telles qu'on en voit dans le monde numérique, à ceci près qu'elles ne sont pas produites ici par des machines mais via un lent travail manuel laissant, dans son sillage, mille et une imperfections s'apparentant à autant de nuances, de manières de donner à l'image une vibration, une incarnation.
Or c'est bien là, à ce niveau macroscopique, que s'amorce la réflexion de l'artiste. En effet, s'il part d'images photographiques « mécaniques » et au demeurant immatérielles (images d'un œil interrogateur vu en gros plan, aussi intensément présent qu'anonyme, ou portraits de femmes habités d'un même regard scrutateur, trouvées par hasard au pied d'un photomaton), c'est pour mieux leur donner une étrange et invraisemblable existence au cœur de la matière du dessin. Il est question de l'absence d'un personnage mais en même temps de la présence de son image. Et ce même paradoxe est expérimenté par les spectateurs des œuvres de Cortinovis puisque, selon qu'on se trouve tout près de ses dessins, ou à une grande distance de ceux-ci on en a une perception très différente, en étant tantôt proche de l'abstraction, tantôt proche de la photographie.
Claude Cortinovis s'inscrit en quelque sorte dans un domaine précédemment exploré par les pointillistes et les impressionnistes d'une part, et par l'école conceptuelle de photographie des années 1980 de l'autre (a fortiori représentée exemplairement dans le cas présent par Thomas Struth). Mais ce qui fait son essentielle singularité (au-delà de la réunion a priori inattendue de ces deux héritages artistiques dans son travail) réside dans le fait qu'il ajoute une composante existentielle à une telle recherche. De fait, la question de la présence/absence de l'image et du sujet se joue toujours en perspective des êtres et des lieux que l'artiste lui-même fréquente avant de les voir irrémédiablement disparaître. Une expérience qu'il n'est bien sûûr pas le seul à faire, nous qui sommes en tant qu'êtres humains régulièrement confrontés si pas à la perte, en tout cas à l'éloignement, à l'exil. C'est là un enjeu d'autant plus contemporain que c'est celui qui se fait jour dans l'expérience que nous faisons aujourd'hui des nouvelles technologies, et des phénomènes de migrations.
Keitelman Gallery, 2014