PRESS RELEASE

À l'ère inconditionnelle de la photographie numérique, Claude Cortinovis agit en résistance par la pratique d'une photographie «artisanale». Contrairement à l'instantanéité des clichés d'aujourd'hui, ses travaux rendent compte en effet d'un temps différent où la main, déterminée, travaille lentement pour composer, doucement, une image. Ces dernières années (2000-­2007), non loin de cinquante tirages de grand format ont été grillagés par du texte avec une rigueur sans faille offrant ainsi à la calligraphie le rôle cardinal d'une trame qui scande et brouille l'image dans le même temps, tout en reléguant la photographie même au second plan.

«J'étais ici je ne pouvais rien voir» est l'une des phrases écrite un mois durant sur un paysage noir et blanc. Comme un écho à ces mots, une nouvelle série, entamée en 2004 et intitulée SHE exige une mise au point du regard puisque ses sujets ne se devinent qu'avec du recul.

Comment regarder une image, l'appréhender, la décoder et la contempler? Prenant le contre-pied du travail argentique noir et blanc développé précédemment, une trame de pixels se dilate en bichromie. Si l'emploi de la couleur contribue étonnamment à abstraire les formes plutôt qu'à ne les décrire, c'est que la photographie n'est pas le miroir fidèle des objets qu'elle représente, mais : «un médium bizarre, une nouvelle forme d'hallucination : fausse au niveau de la perception, vraie au niveau du temps; une hallucination tempérée en quelque sorte, modeste, partagée [...] image folle, frottée de réel» (Roland Barthes, La chambre claire, 1980).

Généralement sujet de ses propres prises de vue, Cortinovis retourne ici l'objectif vers l'extérieur pour donner à voir des formes féminines, florales et sensuelles. Tamponnés carré par carré, ces dessins résultent de l'agrandissement manuel de photographies numériques dénaturées dans un format horizontal qui évoque le regard d'un voyeur pourvu de jumelles.

L'évanescence étrange qui s'en dégage trouble la vision et l'image échappe ainsi à la censure. Traduits en des cases rapprochées, ces dessins rappellent les cahiers de Punition (1991) où la grille scolaire obsédait l'artiste puisque 5000 petits hommes qui courent avaient succédé à 5000 petits hommes couchés sur les pages quadrillées d'un papier d'écolier. Déjà à l'époque, l'acte performatif de la répétition permettait à l'artiste d'élaborer un programme plastique. Karine Tissot, Historienne de l'Art à Genève.

Keitelman Gallery, 2011